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Saison 11
Les Podcasts > La Nuit de la Philo à l'Olympia

La Nuit de la Philo à l’Olympia

9 octobre 2023

Durée : 2 h 10 min
Accès libre Saison 11
A travers l’histoire et les crises du passé, la philosophie a toujours été un acte de résistance et une source de liberté. Depuis dix ans, partout en France, les Soirées de la Philo ont réuni autour d’elle des dizaines de milliers de spectateurs. A l’occasion de cet anniversaire, François-Xavier Bellamy vous invite à une soirée exceptionnelle à l’Olympia : autour d’une programmation inédite, venez retrouver sur cette scène mythique les plus belles pages de l’histoire de la philosophie, et leur étonnante actualité…
#Aristote #Bergson #Duras

« Le péril où j’étais ne m’a point paru une raison de rien faire qui fût indigne d’un homme libre, et maintenant encore je ne regrette pas mon choix. J’aime beaucoup mieux mourir après m’être défendu comme je l’ai fait que de vivre grâce à des bassesses. Car dans les tribunaux comme à la guerre, personne, ni moi, ni un autre, n’a le droit de chercher à se dérober à la mort par tous les moyens. Au milieu du combat, tout le monde sait qu’il serait très facile de sauver sa vie, en jetant ses armes, et en devenant prisonnier de ceux qui vous poursuivent. De même, dans toute espèce de dangers, on trouve mille autres expédients pour échapper à la mort, si l’on est prêt à tout faire et à tout dire. Seulement ce n’est peut-être pas cela qui est difficile, Athéniens, d’éviter la mort : il l’est beaucoup plus d’éviter le mal ; car il court plus vite que la mort. C’est pourquoi, vieux et fatigué comme je suis, je me suis laissé atteindre par le plus lent des deux, la mort, tandis que mes accusateurs, qui sont forts et agiles, ont été atteints par le plus rapide, le mal. Et maintenant moi, je vais sortir d’ici condamné à mort par vous ; et eux condamnés par la vérité comme criminels, et moi, je m’en tiens à ma peine, et eux à la leur. En effet, peut-être est-ce ainsi que les choses devaient se passer, et, selon moi, tout est pour le mieux. Mais il est temps que nous nous quittions, moi pour mourir, et vous pour vivre. Qui de nous a le meilleur sort ? Seul le Dieu le sait.»

« De tout ce que nous venons de dire, il résulte que le mot de philosophie dont nous avons recherché les diverses significations, se rapporte à une seule et même science. Une telle science s’élève aux principes et aux causes ; or, le bien, la raison des choses, est au nombre des causes. Et qu’elle n’a pas un but pratique, c’est ce qui est évident par l’exemple des premiers qui se sont occupés de philosophie. Ce fut en effet l’étonnement d’abord comme aujourd’hui, qui fit naître parmi les hommes les recherches philosophiques. Entre les phénomènes qui les frappaient, leur curiosité se porta d’abord sur ce qui était le plus à leur portée ; puis, s’avançant ainsi peu à peu, ils en vinrent à se demander compte de plus grands phénomènes, comme des divers états de la lune, du soleil, des astres, et enfin de l’origine de l’univers. Or, douter et s’étonner, c’est reconnaître son ignorance. Voilà pourquoi on peut dire en quelque manière que l’ami de la philosophie est aussi celui des mythes ; car la matière du mythe, c’est l’étonnant, le merveilleux. Si donc on a philosophé pour échapper à l’ignorance, il est clair qu’on a poursuivi la science pour savoir et sans aucun but d’utilité. Il est donc évident que nous ne cherchons la philosophie dans aucun intérêt étranger ; et comme nous appelons homme libre celui qui s’appartient à lui-même et qui n’appartient pas à un autre, de même la philosophie est de toutes sciences la seule libre ; car seule elle est à elle-même son propre but. Aussi, ne serait-ce pas sans quelque raison qu’on regarderait comme plus qu’humaine la possession de cette science ; car la nature de l’homme est esclave à beaucoup d’égards. Si donc les poètes disent vrai, et si la nature divine doit être envieuse, c’est surtout au sujet de cet émerveillement. »

« Jusqu’à quand différeras-tu de te juger digne des plus grandes choses et de te mettre en état de ne jamais blesser la droite raison ? Tu as reçu les préceptes auxquels tu devais donner ton consentement, et tu l'as donné. Quel maître attends-tu donc encore pour remettre ton amendement jusqu'à son arrivée ? Tu n'es plus un enfant, mais un homme fait. Si tu te négliges, si tu t'amuses, si tu fais résolution sur résolution, si tous les jours tu marques un nouveau jour où tu auras soin de toi-même, il arrivera que, sans que tu y aies pris garde, tu n'auras fait aucun progrès, et que tu persévéreras dans ton ignorance, et pendant ta vie et après ta mort. Si tu te négliges, si tu t'amuses, si tu fais résolution sur résolution, si tous les jours tu marques un nouveau jour où tu auras soin de toi-même, il arrivera que, sans que tu y aies pris garde, tu n'auras fait aucun progrès, et que tu persévéreras dans ton ignorance, et pendant ta vie et après ta mort. Commence donc dès aujourd'hui à te juger digne de vivre comme un homme, et comme un homme qui a déjà fait quelque progrès dans la sagesse, et que tout ce qui te paraîtra très beau et très bon soit pour toi une loi inviolable. S'il se présente quelque chose de pénible ou d'agréable, de glorieux ou de honteux, souviens-toi que le jour de la lutte est venu, que les jeux olympiques sont ouverts, qu'il n'est plus temps de différer, et que, d'un moment et d'une seule action de courage ou de lâcheté, dépendent ton avancement ou ta perte. C'est ainsi que Socrate est parvenu à la perfection, en faisant servir toutes choses à son avancement, et en ne suivant jamais que la raison. Pour toi, bien que tu ne sois pas encore Socrate, tu dois pourtant vivre comme quelqu'un qui veut le devenir.»

« Y aura-t-il quelqu’un qui soit à ce point incapable de s’émouvoir que, voyant toutes les beautés qui sont dans le monde sensible, toute cette harmonie, cet ordre, cette splendeur des astres, il ne soit pas amené à réfléchir et à concevoir pour ce monde sensible un respect religieux, en se disant : « quelles merveilles, et de quelle merveille doivent venir ces merveilles ! » Mais comment peut-on voir cette beauté du bien dans l'âme ? Reviens en toi-même, et regarde : si tu ne vois pas encore la beauté en toi, fais comme le sculpteur d'une statue qui doit devenir belle ; il enlève, il gratte, il polit, il essuie jusqu'à ce qu'il fasse apparaître un beau visage dans le marbre ; comme lui, enlève tout ce qui est superflu, redresse ce qui est tortueux, nettoie ce qui est sombre pour le rendre brillant, et ne cesse pas de sculpter ta propre statue, jusqu'à ce que resplendisse pour toi la divine splendeur de la vertu et de la sagesse. Es-tu devenu cela ? Est-ce que tu vois cela ? Es-tu devenu simple, sans aucun obstacle à ton unification, sans que rien d'autre soit mélangé intérieurement avec toi-même ? Es-tu tout entier une vraie lumière, non pas une lumière d’une certaine dimension ou forme qui peut diminuer ou augmenter de grandeur - mais une lumière absolument sans mesure, parce qu'elle est supérieure à toute mesure et à toute quantité ? Te vois-tu devenu cela ? Alors tu es devenu une vision ; aie confiance en toi ; même en restant ici-bas, tu t’es élevé vers le haut ; et tu n'as plus besoin de guide ; fixe ton regard et vois. Car c'est le seul œil qui voit la grande beauté. Et si cet oeil arrive jusqu'à cette contemplation alors qu'il est troublé à cause des vices, impur ou faible, n'étant pas du tout capable, à cause de sa lâcheté, de voir les splendeurs, il ne verra rien, pas même si un autre lui montre ce qui est là et qui peut être vu. Celui qui voit, en effet, doit s'être rendu semblable à ce qui est vu, pour parvenir à la contemplation. Assurément, jamais l'oeil ne verrait le soleil sans être parent de la lumière, devenu de la même nature que le soleil, et l'âme ne pourrait voir le beau, sans être devenue belle.»

« Quand je danse, je danse ; quand je dors, je dors ; voire, et quand je me promène solitairement en un beau verger, si mes pensées se sont entretenues des occurrences étrangères quelque partie du temps, quelque autre partie je les ramène à la promenade, au verger, à la douceur de cette solitude, et à moi. Quand je vois et César et Alexandre, au plus épais de sa grande besogne, jouir si pleinement des plaisirs naturels, et par conséquent nécessaires et justes, je ne dis pas que ce soit relâcher son âme, je dis que c'est la roidir, soumettant par vigueur de courage, à l'usage de la vie ordinaire, ces violentes occupations et laborieuses pensées. Nous sommes de grands fous. « Il a passé sa vie en oisiveté », disons-nous ; « Je n'ai rien fait d'aujourd'hui ». Quoi ! avez-vous pas vécu ? C'est non seulement la fondamentale, mais la plus illustre de vos occupations. « Si on m'eût mis au propre des grands maniements, j'eusse montré ce que je savais faire. » Avez-vous su méditer et manier votre vie ? Vous avez fait la plus grande besogne de toutes. Avez-vous su composer vos moeurs : vous avez bien plus fait que ce celui qui a composé des livres. Avez-vous su prendre du repos, vous avez plus fait que celui qui a pris des empires et des villes. Notre grand et glorieux chef-d'oeuvre, c'est vivre à propos. Toutes autres choses, régner, thésauriser, bâtir, n'en sont qu'appendicules et adminicules, pour le plus. C'est aux petites âmes ensevelies du poids des affaires, de ne s'en savoir purement démêler : de ne les savoir et laisser et reprendre. Il n'est rien si beau et si légitime que de faire bien l'homme et dûment, ni science si ardue que de bien et naturellement savoir vivre cette vie ; et de nos maladies la plus sauvage c'est mépriser notre être... C'est une absolue perfection, et comme divine, de savoir jouir loyalement de son être.»

« Nous ne nous connaissons pas nous-mêmes, nous les hommes de la connaissance ; et nous sommes inconnus à nous-mêmes. Et il y a une bonne raison pour cela : nous ne nous sommes jamais cherchés — pourquoi alors faudrait-il qu’un jour nous nous trouvions ? C’est à juste titre qu’on a dit : « Là où est votre trésor, là aussi est votre cœur » ; notre trésor à nous est là où se tiennent les ruches de notre connaissance. Nous sommes sans cesse à sa poursuite, nous, animaux ailés et butineurs nés de l’esprit, et notre cœur ne se soucie véritablement que d’une seule chose — « rapporter » quelque chose. En-dehors de cela, pour ce qui concerne la vie et ce qu’on appelle les « expériences » vécues — qui a pour celles-ci encore assez de sérieux ? Qui a encore assez de temps pour s’en préoccuper ? Pour de telles affaires, je le crains, nous ne sommes jamais vraiment « à notre affaire » : nous n’y prêtons justement pas le cœur — ni même l’oreille ! Pareils plutôt à un homme divinement distrait, absorbé en lui-même, à qui l’horloge vient de faire résonner avec violence aux oreilles ses douze coups de midi, et qui s’éveille en sursaut et se demande : « Quelle heure vient donc de sonner ? », nous nous frottons parfois nous aussi les oreilles après coup et nous nous demandons, tout étonnés et confus : « Que nous est-il donc arrivé ? Qu’avons-nous donc réellement vécu ? » Mieux encore : « Qui sommes-nous en réalité ? » Et nous recomptons, après coup, je le répète, chacun des douze coups vibrants de notre expérience, de notre vie, de notre être — sans compter juste, hélas !… Nous demeurons nécessairement étrangers à nous-mêmes, nous ne nous comprenons pas, nous ne pouvons pas éviter de nous confondre avec d’autres, pour nous vaut de toute éternité cette loi : « Chacun est pour soi-même le plus étranger », — nous ne sommes pas pour nous-mêmes des « hommes de la connaissance »… »

« Puisque cette réalité est si difficile à connaître, pensait-on plus ou moins obscurément, puisqu'elle nous fait tant d'embêtements, attendons (et si peu). Dans un instant elle va être enregistrée. Et alors nous l'aurons toute classée dans les magasins de l'histoire. Elle sera même mieux. Elle sera plus propre. Il n'y aura plus cette gangue. Aujourd'hui, pensait-on, est un mauvais garçon ; et un garçon mal élevé. Et puis on ne sait pas bien qui il est. Il nous ferait des ennuis. Attendons seulement un jour. Dès demain il sera hier. Et nous le retrouverons dans le compartiment des hiers à la Bibliothèque Nationale. C'était si tentant. On n'avait qu'à attendre un petit peu. Et on trouvait l'ouvrage toute faite. Aujourd'hui, aujourd'hui nous faisait des misères. Mais demain, hier ne nous en ferait plus. Ainsi on croyait considérer le présent. Et on ne considérait jamais que son ombre portée. On croyait parler du présent. Et on ne parlait jamais que de son ombre portée. (…) Il y a quelque chose de pire que d'avoir une mauvaise pensée. C'est d'avoir une pensée toute faite. Il y a quelque chose de pire que d'avoir une mauvaise âme et même de se faire une mauvaise âme. C'est d'avoir une âme toute faite. Il y a quelque chose de pire que d'avoir une âme même perverse. C'est d'avoir une âme habituée. On a vu les jeux incroyables de la grâce et les grâces incroyables de la grâce pénétrer une mauvaise âme et même une âme perverse et on a vu sauver ce qui paraissait perdu. Mais on n’a pas vu mouiller ce qui était verni, on n’a pas vu traverser ce qui était imperméable, on n’a pas vu tremper ce qui était habitué. Le pire, c’est d’avoir une âme endurcie par l’habitude. Sur une âme habituée, la grâce ne peut rien. Elle glisse sur elle comme l’eau sur un tissu huileux… Les « honnêtes gens » ne mouillent pas à la grâce. C’est que précisément les plus honnêtes gens, ou simplement les honnêtes gens, ou enfin ceux qu’on nomme tels, et qui aiment à se nommer tels, n’ont point de défaut eux-mêmes dans l’armure. Ils ne sont pas blessés. Leur peau morale constamment intacte leur fait un cuir et une cuirasse sans faute. Ils ne présentent pas cette ouverture qui fait une affreuse blessure, une inoubliable détresse, un regret invincible, un point de suture éternellement mal joint, une mortelle inquiétude, une invisible arrière-pensée, une amertume secrète, un effondrement perpétuellement masqué, une cicatrice éternellement mal fermée. Parce qu’ils ne sont pas blessés, ils ne sont pas vulnérables. Parce qu’ils ne manquent de rien, on ne leur apporte rien. Parce qu’ils ne manquent de rien, on ne leur apporte pas ce qui est tout. La charité même de Dieu ne panse point celui qui n'a pas de plaies. C'est parce qu'un homme était par terre que le Samaritain le ramassa. C'est parce que la face de Jésus était sale que Véronique l'essuya d'un mouchoir. Or celui qui n'est pas tombé ne sera jamais ramassé ; et celui qui n'est pas sale ne sera pas essuyé.»

« Qu’une bonne moitié de notre morale comprenne des devoirs dont le caractère obligatoire s’explique en dernière analyse par la pression de la société sur l’individu, on l’accordera sans trop de peine, parce que ces devoirs sont pratiqués couramment, parce qu’ils ont une formule nette et précise et qu’il nous est alors facile, en les saisissant par leur partie pleinement visible et en descendant jusqu’à la racine, de découvrir l’exigence sociale d’où ils sont sortis. Mais que le reste de la morale traduise un certain état émotionnel, qu’on ne cède plus ici à une pression mais à un attrait, beaucoup hésiteront à l’admettre. (...) Ces deux morales juxtaposées semblent pourtant n’en plus faire qu’une. Remuons la cendre ; nous trouverons des parties encore chaudes, et finalement jaillira l’étincelle ; le feu pourra se rallumer, et, s’il se rallume, il gagnera de proche en proche. (...) Tous ces appels se rejoignent dans la chaude émotion qui les laissa jadis derrière elle et dans les hommes, redevenus vivants, qui l’éprouvèrent. Fondateurs et réformateurs de religions, mystiques et saints, héros obscurs de la vie morale que nous avons pu rencontrer sur notre chemin et qui égalent à nos yeux les plus grands, tous sont là : entraînés par leur exemple, nous nous joignons à eux comme à une armée de conquérants. Ce sont des conquérants, en effet ; ils ont brisé la résistance de la nature et haussé l’humanité à des destinées nouvelles. (...) Dans la morale de l’aspiration est implicitement contenu le sentiment d’un progrès. L’émotion dont nous parlions est l’enthousiasme d’une marche en avant, — enthousiasme par lequel cette morale s’est fait accepter de quelques-uns et s’est ensuite, à travers eux, propagée dans le monde. Il suffit que dans la joie de l’enthousiasme il y ait plus que dans le plaisir du bien-être. (...) Joie serait en effet la simplicité de vie que propagerait dans le monde une intuition mystique diffusée, joie encore celle qui suivrait automatiquement une vision d’au-delà dans une expérience scientifique élargie. A défaut d’une réforme morale aussi complète, il faudra recourir aux expédients, se soumettre à une « réglementation » de plus en plus envahissante, tourner un à un les obstacles que notre nature dresse contre notre civilisation. Mais, qu’on opte pour les grands moyens ou pour les petits, une décision s’impose. L’humanité gémit, à demi écrasée sous le poids des progrès qu’elle a faits. Elle ne sait pas assez que son avenir dépend d’elle. A elle de voir d’abord si elle veut continuer à vivre. A elle de se demander ensuite si elle veut vivre seulement, ou fournir en outre l’effort nécessaire pour que s’accomplisse, jusque sur notre planète réfractaire, la fonction essentielle de l’univers, qui est une machine à faire des dieux.»

« Sous l’effet de la guerre, la maladie du déracinement a pris dans toute l’Europe une acuité telle qu’on peut légitimement en être épouvanté. La seule indication qui donne quelque espoir, c’est que la souffrance a rendu un certain degré de vie à des souvenirs naguère presque morts. (…) Dans cette situation presque désespérée, on ne peut trouver ici-bas de secours que dans les îlots de passé demeurés vivants sur la surface de la terre. Ce n’est pas qu’il faille approuver le tapage fait par Mussolini autour de l’Empire romain. (…) Ce sont les gouttes de passé vivant qui sont à préserver jalousement, partout, à Paris ou à Tahiti indistinctement, car il n’y en a pas trop sur le globe entier. Il serait vain de se détourner du passé pour ne penser qu’à l’avenir. C’est une illusion dangereuse de croire qu’il y ait même là une possibilité. L’opposition entre l’avenir et le passé est absurde. L’avenir ne nous apporte rien, ne nous donne rien ; c’est nous qui pour le construire devons tout lui donner, lui donner notre vie elle-même. Mais pour donner il faut posséder, et nous ne possédons d’autre vie, d’autre sève, que les trésors hérités du passé et digérés, assimilés, recréés par nous. De tous les besoins de l’âme humaine, il n’y en a pas de plus vital que le passé. L’amour du passé n’a rien à voir avec une orientation politique rétrograde. Comme toutes les activités humaines, la révolution puise toute sa sève dans une tradition. (…) Mais depuis plusieurs siècles, les occidentaux ont détruit du passé partout, stupidement, aveuglément, chez eux et hors de chez eux. Si à certains égards il y a eu néanmoins progrès véritable au cours de cette période, ce n’est pas à cause de cette rage, mais malgré elle, sous l’impulsion du peu de passé demeuré vivant. Le passé détruit ne revient jamais plus. La destruction du passé est peut-être le plus grand crime. Aujourd’hui, la conservation du peu qui reste devrait devenir presque une idée fixe. (…) Il faut avoir en vue avant tout, dans toute innovation politique, juridique ou technique susceptible de répercussions sociales, un arrangement permettant aux êtres humains de reprendre des racines. »

« Je crois que l'homme sera littéralement noyé dans l'information, dans une information constante, sur son corps, sur son devenir corporel, sur sa santé, sur sa vie familiale, sur son salaire, sur son loisir. Ce n'est pas loin du cauchemar. Il n'y aura plus personne pour lire. Ils verront de la télévision. On en dépose tout partout, dans la cuisine, dans les water-closets, dans le bureau, dans les rues. Où sera-t-on... Tandis que l'on regarde la télévision, où est-t-on... ? On n'est pas seul. On ne voyagera plus, ce ne sera plus la peine de voyager. Quand on peut faire le tour du monde en huit jours, en quinze jours, pourquoi le faire ? Dans le voyage, il y a le temps du voyage. Ce n'est pas voir vite, c'est voir et vivre en même temps, vivre du voyage. Cela ne sera plus possible. Tout sera bouché, tout sera investi. Il restera la mer quand même, les océans, puis la lecture. Les gens vont redécouvrir ça ; un homme un jour lira... et tout recommencera. On repassera par la gratuité. C'est-à-dire que les réponses, à ce moment-là, elles seront moins écoutées. Cela commencera comme cela : une indiscipline, un risque pris par l'homme envers lui-même. Et un jour, il sera seul de nouveau, avec son malheur... Et son bonheur, mais qui lui viendront de lui-même. Peut-être que ceux qui se tireront de ce pas pas seront les héros de l'avenir. C'est très possible. Espérons qu'il y en aura encore. Je me souviens avoir lu le livre d'un auteur allemand de l'entre-deux-guerres. Je me souviens du titre : Le dernier civil, de Ernst Glaeser. J'avais lu ça : que lorsque la liberté aurait déserté le monde, il resterait toujours un homme pour en rêver... Je crois, je crois que c'est déjà commencé. »

-Sareri Hovin Mernim, arr. Astrig Siranossian -J.S. Bach : Allemande BWV1007 -G. Ligeti : Sonate -J.S. Bach : Prélude BWV1007 -J.S. Bach : Sarabande BWV1007 -Grégoire de Narek : Havoune, « l’éternité »