Qu’attendons-nous pour être heureux ?

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Toutes les bonnes choses ont une fin. Mieux vaut ne pas attendre qu’elles soient terminées avant d’en profiter vraiment. Alors, qu’est-ce que nous attendons pour être heureux ? Qu’attendons-nous exactement pour nous décider enfin à goûter pleinement cette vie ? Qu’attendons-nous pour saisir la chance immense, le trésor exceptionnel que constitue cette existence ? Et pourtant, nous le savons bien, nous attendons tous quelque chose : la fin d’une épreuve, la résolution d’un problème, l’obtention de quelque bien qui occupe notre esprit. Faut-il attendre encore ou faut-il se résigner à prendre les choses comme elles sont ? Qu’attendons-nous exactement pour réaliser complètement ce qui fait notre existence ?  Qu’avons-nous raison d’attendre ? Qu’aurions-nous raison d’ignorer ? Qu’attendons-nous pour être heureux ?

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Jacques Prévert

« J’ai reconnu le bonheur au bruit qu’il a fait en partant.»


Alain

« Il y a plus de volonté qu’on ne le croit dans le bonheur. »


Epicure, Lettre à Ménécée

« Quand on est jeune il ne faut pas remettre à philosopher, et quand on est vieux il ne faut pas se lasser de philosopher. Car jamais il n’est trop tôt ou trop tard pour travailler à la santé de l’âme. Or celui qui dit que l’heure de philosopher n’est pas encore arrivée ou est passée pour lui, ressemble à un homme qui dirait que l’heure d’être heureux n’est pas encore venue pour lui ou qu’elle n’est plus. Le jeune homme et le plus vieux doivent donc philosopher l’un et l’autre, celui-ci pour rajeunir au contact du bien, en se remémorant le meilleur des jours ; celui-là afin d’être, quoique jeune, tranquille comme un ancien en face de l’avenir. »


Sénèque, Lettres à Lucilius

Lettre 122

« Malheur à celui qui sommeille lâchement quand le soleil est déjà haut, et dont la veille commence à midi ! Et encore, pour beaucoup, il n’est pas jour à cette heure-là. Certaines gens font du jour la nuit, et réciproquement : appesantis par l’orgie de la veille, leurs yeux ne commencent à s’ouvrir que quand l’ombre descend sur la terre. Tels que ces peuples placés, dit-on, par la nature sur un point du globe diamétralement opposé au nôtre, les hommes que je cite contrastent avec tous, non géographiquement, mais par le genre de vie : antipodes de Rome dans Rome même, ils n’ont, suivant le mot de Caton, « jamais vu du soleil ni le lever, ni le coucher. » Penses-tu qu’ils sachent comment on doit vivre, ceux qui ignorent quand il faut vivre ?

Qu’ils passent dans le vin leur nocturne existence ; qu’ils consument leur veille contre nature en festins coupés de nombreux services : ils sont là non à des banquets, mais à leur repas d’enterrement. Et encore est-ce de jour qu’on rend aux morts un pareil hommage.

Les journées, grands dieux ! sont-elles jamais trop longues pour l’homme occupé ? Sachons agrandir notre vie : l’office, la manifestation de la vie, c’est l’action. Retranchons à nos nuits pour ajouter à nos jours. L’oiseau qu’on élève pour nos tables, qu’on veut engraisser avec moins de peine, est tenu dans l’ombre. Ainsi ces êtres qui se sont voués à la nuit ont le teint plus équivoque que n’est la pâleur d’un malade : minés de langueur, exténués et blêmes. Cependant, le dirai-je ? c’est là le moindre de leurs maux : combien sont plus épaisses les ténèbres de leur âme !

C’est le génie de la mollesse de se complaire à tout bouleverser : Eut-on jamais des yeux pour ne s’en servir que la nuit ?

Ne violent-ils pas ces mêmes lois, ceux qui demandent la rose aux hivers, qui au moyen d’eaux chaudes et de températures factices, bien graduées, arrachent aux frimas le lis, cette fleur du printemps ? Dès qu’on a pris le parti de tout vouloir contrairement au rythme de la nature, on finit par un complet divorce avec elle. Le jour se lève ? c’est l’heure du sommeil. Tout dort ? prenons nos exercices : ma litière, mon dîner maintenant. L’aurore n’est pas loin ? il est temps de souper. N’allons pas faire comme le peuple : laissons le jour au vulgaire ; créons un matin pour nous, pour nous seuls.

En vérité, de tels hommes sont pour moi comme s’ils n’étaient plus. Ainsi vivaient, nous nous en souvenons, une foule d’hommes du même temps, entre autres Atilius Buta, ancien préteur. Après avoir mangé un patrimoine énorme, il exposait sa détresse à Tibère qui répondit : “Tu t’es réveillé trop tard.” »


Sénèque, Lettres à Lucilius

Lettre 32

« Si tu y prends garde, la plus grande part de la vie se passe à mal faire, une grande à ne rien faire, le tout à faire autre chose que ce qu’on devrait.

Persiste donc, ami, à faire ce que tu me dis : sois complètement maître de toutes tes heures. Tu dépendras moins de demain, si tu t’assures bien d’aujourd’hui.

Veux-tu savoir ce qui rend les hommes avides de l’avenir ? C’est que pas un ne s’est appartenu. »


Sénèque, Lettres à Lucilius

Lettre 12, sur la vieillesse

« De quelque côté que je me tourne, tout ce que je vois me démontre que je suis vieux. J’étais allé à ma campagne, près de la ville, et je me plaignais des dépenses qu’entraînait le délabrement de ma maison. Le fermier me dit qu’il n’y avait point négligence de sa part, qu’il faisait tout ce qu’il devait, mais que le bâtiment était vieux. – Ce bâtiment s’est élevé sous ma main ! que vais-je devenir, moi, si des murs de mon âge tombent déjà en poudre ? (…)

Je dois à ma campagne d’y avoir vu de tous côtés ma vieillesse m’apparaître. Faisons-lui bon accueil et aimons-la : elle est pleine de douceurs pour qui sait en user. Les fruits ont plus de saveur quand ils se passent ; l’enfance n’a tout son éclat qu’au moment où elle finit ; pour les buveurs, la dernière rasade est la bonne, c’est le coup qui les noie, qui rend l’ivresse parfaite. Ce qu’a de plus piquant toute volupté, elle le garde pour l’instant final. Qu’il est doux d’avoir lassé les passions, de les avoir laissées en route ! »


Bertrand Russell, Eloge de l’oisiveté

« Le bon usage du loisir, il faut le reconnaître, est le produit de la civilisation et de l’éducation. Un homme qui a fait de longues journées de travail toute sa vie s’ennuiera s’il est soudain livré à l’oisiveté. Mais sans une somme considérable de loisir à sa disposition, un homme n’a pas accès à la plupart des meilleures choses de la vie. (…) Le fait est que l’activité qui consiste à déplacer de la matière, si elle est, jusqu’à un certain point, nécessaire à notre existence, n’est certainement pas l’une des fins de la vie humaine. Si c’était le cas, nous devrions penser que n’importe quel terrassier est supérieur à Shakespeare. (…) De façon générale, on estime que gagner de l’argent, c’est bien, mais que le dépenser, c’est mal. Quelle absurdité, si l’on songe qu’il y a toujours deux parties dans une transaction : autant soutenir que les clés, c’est bien, mais les trous de serrure, non. Si la production de biens a quelque mérite, celui-ci ne saurait résider que dans l’avantage qu’il peut y avoir à les consommer.

Les méthodes de production modernes nous ont donné la possibilité de permettre à tous de vivre dans l’aisance et la sécurité. Nous avons choisi, à la place, le surmenage pour les uns et la misère pour les autres : en cela, nous nous sommes montrés bien bêtes, mais il n’y a pas de raison pour persévérer dans notre bêtise indéfiniment. »


Aristote

« Une seule hirondelle ne fait pas le printemps, pas plus qu’un seul jour de soleil ; de la même manière, ce n’est ni un seul jour ni une courte période de temps qui peuvent rendre un homme heureux. »