Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait… Car si la jeunesse rêve, la vieillesse sait : derrière cette généralité proverbiale, il y a peut-être la marque des nécessaires désillusions que la vie apporte avec elle. Le monde n’est jamais si parfait qu’il puisse répondre en tous points aux attentes que nous en avions quand nous entrions sur son seuil. Et nous voilà désormais, au milieu des complexités du réel et de nos impuissances humiliantes, tout encombrés de nos rêves d’enfants. Que pouvons-nous bien en faire ?
On ne sait s’il est plus honteux de rêver encore, ou d’arrêter de rêver. Si nous méprisons aujourd’hui le bel idéal de l’adolescent que nous étions hier, peut-être est-ce lui qui nous méprisera. Entre le réel et l’idéal, est-il nécessaire de faire un choix ? Faut-il renoncer à ses rêves ?
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Quelle époque nous vivons ! La succession des événements qui se déroule sous nos yeux nous donne le sentiment étrange et un peu vertigineux que nous sommes parvenus à un moment de tournant de notre histoire, de celle de notre société, et peut-être de l’histoire du monde… Mais n’est-ce pas le sentiment qu’ont partagé toutes les générations avant nous ? L’impression que quelque chose est en train de se passer qui va bientôt se dévoiler, que l’histoire, pour tout dire, se dirige vers un but déterminé que nous devrions comprendre, que nous devrions déjà voir, et qu’ainsi nous pourrions prévoir… Mais les choses sont-elles si simples ? Après tout, dans le tumulte du présent comme dans la connaissance du passé, ce qui apparaît est plutôt indéterminé, chaotique, injuste et absurde même… Faut-il lire dans le passé la trace du destin qui s’écrit ? Que se passe-t-il dans ce qui passe ? Sommes-nous conduits quelque part par le fracas des événements, ou totalement abandonnés à une absolue contingence ? L’histoire a-t-elle un sens ?
Nous sommes des êtres de désirs, et nos désirs, nous l’avons vu, veulent donner à notre vie leurs orientations singulières. Pour cela, il faut encore être libre. Et être libre, c’est choisir : pas de liberté sans choix. Mais suffit-il de faire des choix pour être certains d’être libres ? Quelle part de notre initiative entre dans nos décisions ? Quelle liberté réelle traduisent nos délibérations ? Nous ne sommes pas des atomes séparés livrés à leur propre trajectoire dans un espace en apesanteur… Sur nous pèsent tant de choses – nos pulsions et nos peurs, le regard des autres et les contraintes de la vie sociale… Quand nous avons le sentiment de prendre une décision, l’impression qu’elle provient de nous n’est elle en fait qu’une illusion ? Sommes-nous les auteurs de nos vies ? Sommes nous libres de nos choix ?
Il semble bien que l’Etat se définisse comme l’institution à qui, par principe, tout est permis, puisqu’il lui revient de dire le droit. S’engager dans un conflit, prélever le bien privé, user de la menace et de la coercition : tout ce qui est interdit aux particuliers, l’Etat revendique la possibilité de s’y livrer en toute légitimité. Cela signifie-t-il que les citoyens que nous sommes aient le devoir de lui obéir en tout ? Quel pourrait être le critère d’une désobéissance légitime au pouvoir politique ? Existe-t-il une autre loi que la loi de l’Etat ?